Le gérant peut-il vendre l’immeuble appartenant à la société ? Par Brigitte Ghandour, Juriste

Publié le par BCG

Un arrêt de la Cour de cassation [1] permet de rappeler l’étendue des pouvoirs d’un dirigeant concernant les actifs de la société, notamment un actif essentiel, voire même l’unique actif.

Dans cette affaire le gérant d’une SCI avait vendu l’unique immeuble de la société. La nullité de la vente est demandée. La Cour de cassation la refuse.

Le dirigeant d’une société, régulièrement nommé, en est le représentant légal. Cela signifie qu’il a le pouvoir d’engager la société à l’égard des tiers. Il dispose pour cela d’une certaine autonomie. Toute clause tendant à le transformer en simple exécutant serait réputée non écrite.

Jusqu’où s’étend ce pouvoir ?

Tout dirigeant a un pouvoir de gestion courante de la société.
Il peut commander du matériel, embaucher ou licencier du personnel… Il y a des actes qu’il ne peut pas faire ou qui, à tout le moins, ne seraient pas valables et pourraient être annulés. Par exemple, seul, il ne peut pas fixer sa rémunération, il ne peut pas décider d’augmenter ou de réduire le capital, il ne peut pas modifier l’objet social.

Vendre un actif essentiel de la société est-il ou non un acte de gestion courante que le dirigeant peut accomplir sans l’accord des associés [2] ? Plus précisément, le gérant d’une SARL peut-il vendre le fonds de commerce exploité par la société ? Le gérant d’une SCI peut-il vendre l’immeuble de la société ?

Recherchons une réponse parmi les différentes obligations d’un dirigeant.

On peut se tourner tout d’abord vers l’obligation de tout dirigeant de société d’agir dans l’intérêt de la société. Il doit avoir pour souci constant d’œuvrer pour le bien, pour la pérennité de la société. Si les associés estiment que le dirigeant n’a pas agi dans ce sens [3], ils pourront mettre en jeu sa responsabilité, voire même le révoquer, mais ne pourront pas obtenir l’annulation de l’acte. Il y a peut-être faute de gestion, mais cela ne peut pas avoir d’effet à l’égard des tiers [4]. Dès lors en pratique, cette obligation n’empêche pas le gérant de vendre l’immeuble d’une SCI, ou le fonds de commerce d’une SARL. En effet, même si l’on pourrait douter de l’intérêt d’une telle opération pour la société, la vente ne pourra pas être annulée. On privilégie la sécurité des transactions : les tiers ne doivent pas avoir à craindre une remise en cause de l’acte qu’ils ont conclu.

On peut alors chercher une solution du côté de l’objet social. Mais là encore, rien n’est acquis aux associés…

Un dirigeant doit, en principe, agir dans le cadre de l’objet social .
Il peut de son propre chef effectuer tout acte nécessaire à l’activité. Que se passe-t-il si l’acte n’a aucun rapport avec l’objet social ?

Dans les sociétés à responsabilité illimitée (SNC, Sociétés civiles), l’acte est inopposable à la société : elle n’est pas engagée. C’est ainsi que les juges ont refusé de déclarer la vente parfaite concernant la vente d’un immeuble de SCI non autorisée par les associés car l’objet social prévoyait « l’acquisition, la propriété, l’administration, la mise en location, la gestion, l’exploitation » , mais pas la vente [5]. Sauvés par la rédaction de l’objet social [6] ! En revanche, si la possibilité de vendre est prévue par une formulation générale dans les statuts, le gérant peut vendre seul les actifs de la société, les associés ne pourront pas empêcher l’acte.
La jurisprudence l’a reconnu à de multiples reprises et encore récemment (jurisprudence), quand bien même le bien vendu serait l’unique actif de la sté. Elle se fonde pour cela sur le fait que l’objet social n’est pas épuisé, qu’il est toujours possible. [
7] Dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL, SA, SAS), le dirigeant « a les pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la sté… » la société est engagée même si l’acte n’a aucun rapport avec l’objet social, tant qu’il s’agit d’un acte de gestion courante.
Le dirigeant peut donc librement vendre un actif essentiel de la société.
Cela a été confirmé en jurisprudence [
8].

Dans les sociétés à responsabilité illimitée comme dans celles à responsabilité limitée, le gérant peut donc vendre seul un actif essentiel, voire même le seul actif de la société. Comment dès lors encadrer ce pouvoir ?

Des remèdes existent, sans qu’aucun ne soit parfait.

On peut limiter les pouvoirs du dirigeant, par exemple en exigeant une autorisation des associés pour un acte aussi important. Cependant les clauses limitant les pouvoirs des dirigeants sont inopposables aux tiers. Ce type de clause ne permettra pas d’obtenir la nullité de l’acte au cas où elle ne serait pas respectée [9].

On peut préciser dans les statuts les conditions de remploi du prix de vente. A défaut de prévenir, on peut guérir. Si la vente ne peut être efficacement empêchée, on peut ainsi obliger le dirigeant à racheter un autre fonds de commerce ou un autre immeuble. S’il ne le fait pas, les associés pourront engager sa responsabilité et le révoquer pour non respect des statuts.

L’objet social pourrait viser l’exploitation d’un fonds déterminé, d’un immeuble précis. Le dirigeant ne peut alors pas le céder seul : ce n‘est plus de la gestion courante. En effet cela reviendrait à réaliser l’objet social, entraînant ainsi la dissolution de la société. Mais, cela limite considérablement la capacité de la société : en dehors du fonds, de l’immeuble cité, point de salut, point de survie. On ne peut que constater l’importance de la rédaction de l’objet social, comme sa délicatesse : trop précise, elle limite la capacité de la société et risque d’entraîner sa dissolution prématurée, trop générale, elle donne de très grands pouvoirs au dirigeant quelque soit le type de société.
Et si finalement, ce n’était pas surtout sur le choix d’un dirigeant de confiance qu’il fallait se concentrer ?

[1] Cass. civ. 3ème 12 février 2013, n° 11-20570

[2] Nous excluons de cet article le cas du dirigeant dont la société fait l’objet d’une procédure collective. La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a eu l’occasion de juger que la vente d’un actif essentiel pendant la période d’observation n’était pas un acte de gestion que le dirigeant peut faire seul. Il faut l’autorisation du juge commissaire. CA Aix en P ch 8 sect.A 22.3.12 RG 11/14367

[3] Signalons tout de suite que l’intérêt de la société peut être différent de l’intérêt – au moins immédiat – des associés : un investissement peut être bénéfique pour la société, même s’il réduit dans un premier temps le droit aux dividendes des associés.

[4] Il existe cependant des cas d’annulation, par la jurisprudence, d’actes contraires à l’intérêt social : il s’agissait d’actes de cautionnement et le co-contractant de la sté était un « sachant », un établisssement de crédit.

[5] 3è civ n°10-21815

[6] Cette rédaction pourrait poser un autre problème : elle pourrait en effet empêcher toute vente d’immeuble, que ce soit par le gérant comme sur décision des associés… N’oublions pas que l’objet social définit la capacité des sociétés.

[7] Com 7.10.08 n°07-18635 (vente des titres pour une sté civile de gestion de titres) 3è civ 18.12.01 Bull Joly Sociétés 2002 p.434, note B.Saintourens (vte immeuble seul actif de la sté) Com 26.2.08 n°06-21744 et 06-22151 (promesse de vente d’un immeuble social en SCI) Cass. civ. 3ème 12 février 2013, n° 11-20570

[8] Vente immeuble et fonds d’une maison de repos par le DG d’une SA valable car l’objet social était général : « l’exploitation de toute maison de repos, l’achat… de tous éts de cette nature »Com 29.1.79 Bull. Civ. 1979, IV, n°28 Idem pr cession d’un fonds de commerce par le gérant d’une SARL Critère : tant que la promesse de vente ne rendait pas nécessaire une modification de statuts Com 31.1.12 n°10-15489

[9] La Cour de cassation a refusé d’annuler une décision de vente d’immeuble prise par les associés à une majorité inférieure à celle requise par les statuts. Cass. 3e civ. 13 avril 2010 n° 09-65.538 (SCI FMK c/ Gervoson)

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article